Histoire des arts Pablo PICASSO « Une famille de saltimbanques » (1905) 2. Analyser et 3. Interpréter

Dans le cahier, cette analyse a été présentée en tableau (à six colonnes) pour suivre le guide méthodologique : Guide pour analyser une image fixe.

2. Présenter Les éléments matériels de l’oeuvre

  • La famille de saltimbanques date du printemps-automne 1905 , la toile a été peinte à Paris. Elle mesure 2,12 m x 2.29 m ; elle est conservée à Washington, à la National Gallery of Art.
  • Historique de l’ œuvre
    Acquise en 1908 pour mille francs directement auprès de l’artiste pour une association d’amateurs d’art par André Level ; revendue en 1914 à un Allemand, Tannhauser, pour 11000 francs, puis revendue par ce dernier en 1931 à un Américain, présentée à une exposition à New York. En 1943 le collectionneur prête l’oeuvre à l’Institute of Art de Chicago puis au musée de Washington avant de la léguer à sa mort en 1963.
  • Période artistique : la période « rose » qui suit la période « bleue », lors de laquelle la palette du peintre s’éclaircit et devient plus chaleureuse. Il observe et dessine toujours des gens du peuple, pauvres ou misérables, mais aussi des saltimbanques : acrobates, équilibristes, écuyères, clowns… Il représente également des maternités ou des portraits de « familles » d’acrobates à cette époque.

2. Analyser : Le sujet de l’oeuvre

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Les saltimbanques : Comédien ou marchand ambulant dont la profession est d’amuser la foule dans les foires ou sur les places publiques, avec des acrobaties, des tours d’adresse ou de force, ou grâce à des boniments (Lexilogos) ; c’est donc un sujet habituel pour PICASSO à cette époque. On pense identifier le célèbre clown Grock, ainsi que de possibles acrobates du cirque Médrano, que Picasso fréquentait beaucoup à cette époque.

Cette oeuvre est le fruit d’une lente élaboration (1904-1905) : le peintre a changé à deux reprises de sujet commençant par une famille d’acrobates avant de
reprendre le thème de deux saltimbanques avec un chien.
Un groupe presque identique figure dans une étude conservée, mais le font représenter une course de chevaux à la Degas, le personnage de la femme a été ajouté à la fin de la réalisation après un séjour du peintre en Hollande.
Les acrobates de rue nombreux encore à l’époque à Paris et Picasso fréquentait assidûment le cirque Medrano et les artistes qui s’y produisait.
Le thème du cirque et du spectacle est fréquent depuis le romantisme tant en littérature Baudelaire Hugo Verlaine qu’en peinture : les sources possibles sont nombreuses de WATTEAU à DEGAS ou SEURAT ou encore DAUMIER.

Il existe un dessin et une esquisse préparatoires à cette oeuvre représentant une troupe de gens du cirque.

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Sur le dessin préparatoire qui représente une troupe posant devant un rideau et possiblement sur une scène, on voit le clown dominer au centre, un personnage assis mais en tenue d’acrobate et devant le clown. Les autres membres de la troupe sont répartis de manière équilibré autour du personnage central. On distingue également un Arlequin à droite (pas de costume à losange mais le bicorne) personnage de la Commedia Dell Arte. Enfin il y a un animal, un singe, dans cette esquisse.

Famille de saltimbanques -Picasso- Комедианты
P. PICASSO Etude pour Les Bateleurs (Une Famille de Saltimbanques)
Gouache et fusain sur carton, 1905
collection Chtchoukine.

Dans cette oeuvre, les personnages sont debout, munis de bagages et accompagnés d’un chien, mais ils sont aux abords d’un champ de courses (citation de Degas ?). Pas d’Arlequin mais un directeur de troupe (?). Les personnages se regardent ou regardent la course. Il y avait effectivement es spectacles itinérants de saltimbanques / bateleurs à proximité des champs de courses.

2. Analyser : Composition de l’oeuvre

A l’instar de la vie, cette œuvre rassemble les motifs et les caractéristiques formelles de la période dite rose (fin 1904 1905)
– retour de la couleur les trois primaires et les non couleurs noir et blanc
– caractère composite de l’oeuvre : les personnages amorce un cercle dont est exclue la femme assise, même si les corps se touchent, voire ce confonde par endroits. Jamais les regards ne se croisent, ils se dirigent, à l’exception de celui du Fou vers la femme isolée.
– c’est une étrange scène qui saisit une troupe hétéroclite ni en représentation ni dans la vie quotidienne représentée devant un paysage désert.
– les personnages sont à la fois proches et dans l’incommunicabilité, comme statufiés

  • On peut distinguer trois plans : Au premier plan à gauche, une femme assise (au costume différent), au second plan un groupe d’acrobates, à l’arrière plan, un paysage désertique qui ne constitue pas un paysage identifiable et décontextualise la scène.
  • La composition est centrée à gauche et fermée : le groupe est isolé et « à la place du passé », plutôt que de l’avenir (vers la droite, le regard, la marche vers le futur) mais les postures et surtout les tailles décroissantes des personnages créent une ligne diagonale descendante vers la droite, donc une sorte de mouvement dans cette direction, et la femme.
    Un triangle équilibré et lumineux est également formé par l’enfant bleu (acrobate), la jeune fille rose (écuyère) et la femme assise.
  • Les personnages occupent une place un peu plus importante que le décor, et son vide fait de l’oeuvre un portrait de groupe plus qu’une scène de genre. Leurs poses sont également statiques (bras ballants, jambes droites, à la différence des étude et esquisse), le panier est posé au sol.
  • L’angle de vue est neutre : le spectateur est au même niveau que les personnages, représentés grandeur nature, invité donc à partager quelque chose avec eux, même si chacun reste comme « en lui-même ».

2. Analyser : Couleurs Lumière et matière

  • La lumière est diffuse et uniforme, même si on peut supposer une source lumineuse venant de la gauche,, elle produit une impression de calme et d’harmonie en uniformisant les costumes et en stylisant les visages.
  • La matière est assez épaisse mais lisse, elle forme des dégradés et des taches par endroits, un camaïeu de bleus et de beiges. La nuance globale de rose est obtenue par le rapprochement de ces beiges avec les différentes rouges des costumes, répartis de façon régulière sur la toile. Équilibre de couleurs chaudes et froides.

3. Interpréter : Le Sens de l’oeuvre

Comme les artistes avant lui, Picasso explore la dualité du thème où se mêlent admiration pour les prouesses physiques et expérience mélancolique de la solitude parmi les hommes. les acrobates qui constituent un modèle de liberté absolue jusqu’à l’égard de la pesanteur sont une métaphore de la condition humaine abandonnée après la chute. On peut y voir un mélange de fois indéfectible dans sa vocation et des doutes qui l’assaillent.
Pour Jean Starobinski, c’est un portrait de l’artiste en saltimbanque (1970) une épiphanie dérisoire de l’art et de l’artiste. Picasso est peuint ici sous les traits d’Arlequin, les autres personnages figurent des proches de l’artiste : Apollinaire pour le bouffon, André Salmon et Max Jacob pour les jeunes garçons, peut-être Fernande Olivier pour la Majorquine et enfin sa fille adoptive.
Il s’agirait alors d’un portrait de « La Bande » de Picasso, témoignant de l’assurance donnée par la fraternité artistique et l’inquiétude inhérente à toute création. 

Le poète Rainer Maria RILKE (1875-1926) qui, en 1915, a passé 4 mois dans l’appartement munichois de Herta Koenig a exprimé dans la Ve élégie de Duino composée en 1922 dans le souvenir de la Famille de saltimbanques.
Le mode interrogatif sur lequel l’oeuvre s’adresse au spectateur
Dis-moi, qui sont-ils ces voyageurs plus fugitifs que nous-mêmes
Pour quel amour le désir jamais assouvi les tenaille-t-il avec tant de force ?
Depuis toujours il les plie, les tord, les enlace, les projette et les rattrape ;
de l’air lisse comme huile, ils retombent sur le tapis
Usé par leur bond perpétuel ; tapis perdu dans l’univers,
posé tel un pansement, comme si à cet endroit le ciel des faubourgs avait blessé la terre.
Traduction de Lorand GASPAR

ou

Mais les Errants, dis-moi, qui sont-ils, ces voyageurs
fugaces un peu plus que nous-mêmes encore, hâtés, pressés,
précipités très tôt — pour qui, mais par amour pour qui
— poignés.
par une volonté satisfaite jamais ? Poignés par elle cependant,
ployés, liés et projetés par elle
et lancés et repris ; comme si l’air était d’huile,
et plus lisse et poli, d’où ils glissent
pour revenir sur le tapis usé, rongé
par leur élan perpétuel ; — ce tapis,
perdu dans l’univers :
tel un emplâtre posé là, comme si le ciel des banlieues
y avait fait mal à la terre
. Traduction de Armel GUERNE

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